Six heures du matin. Je sors de la tente et constate que nous sommes tombés dans un bol de lait. Un brouillard épais nous enveloppe. Tout est complètement trempé. Impossible de déjeuner sur place tellement l’humidité s’est infiltrée partout.

Heureusement, il ne fait pas froid du tout.

On décide de lever le camp de suite à la recherche d’un endroit plus sec où nous pourrons prendre notre petit déjeuner tranquillement.
Nous trouvons ce coin après une heure de route en direction du sud, au soleil dans un parc très accueillant. Il fait beau, chaud, ça va être une belle journée pour aller vers les Picos de Europa.

Nous fonçons plein est vers Oviedo, toujours sur des routes très agréables et viroleuses quand je décide de m’arrêter sur le bas côté. Je sens comme du flou dans la tenue de route de la roue arrière. Vérification faite, il manque pas mal d’air dans le pneu. Un coup de compresseur – ne jamais partir en roadtrip sans son gonfleur – et nous voilà repartis, non sans nous être bien désaltérés.

On repart en direction des Picos en roulant tout tranquillement quand soudain, après avoir doublé une voiture qui se trainait un peu trop, je sens que tout l’arrière de la moto balaie la route. Ça, c’est de la crevaison ou je ne m’y connais pas !
Mon pneu a beau avoir une carcasse très rigide, on ne va pas pouvoir aller beaucoup plus loin, chargés comme nous sommes.
J’avise un bas-côté plat et ombragé – important l’ombre ! – où nous allons pouvoir réparer ce petit incident.

Je profite de l’occasion pour donner un cours de réparation de pneu tubeless à mon fils. Trouver l’intrus dans le pneu, le virer, nettoyer le trou, insérer une mèche et regonfler. J’avais pas dit que le gonfleur était indispensable ? A la prochaine station-service, nous ajusterons notre pression pour être sûr de nous.

La route défile de nouveau sous nos roues, les paysages arborés s’éclaircissent au fur et à mesure que nous nous élevons quand tout d’un coup, j’ai l’impression d’avoir été télétransporté – “Kirk à l’Enterprise, paré à téléporter, Scotty !”.
Nous sommes devant un panneau indiquant “Portes du Tarn”. Dans mes souvenirs, ce panneau se situe sur l’A68, en France, entre Toulouse et Albi !

Eh bien, à la frontière entre les Asturies et la Castille-et-Leon, se situe un joli col aussi nommé “Puerto do Tarna”, à mille quatre cent quatre vingt onze mètres d’altitude. Nous ne sommes plus qu’à un jet de pierre des Picos de Europa.
Nous descendons jusqu’à la station-service en bordure de l’Embalse de Riaño pour contrôler les pneus.

Tout à mon affaire avec le compresseur de la station, j’entends une moto se garer près de nous. Il s’agit d’un couple de français en balade dans le coin. Nous échangeons cinq minutes et nous repartons chacun de notre côté, eux vers le Puerto do Tarna et nous, plein nord sur la N-625, direction Los Picos de Europa.

Il est seize heures et nous ne croisons pas grand monde sur la route. Montagne à gauche, montagne à droite, montagne devant, la route se faufile et nous montons ainsi jusqu’au “Puerto del Ponton”. Quelques photos pour l’occasion mais nous ne traînons pas car avant de rejoindre notre camping du soir, j’aimerais que nous nous enfoncions au plus profond des Picos.

Nous quittons notre point de vue et rejoignons la route LE-2711 qui traverse en plein cœur les Picos de Europa. Les vues sont si splendides, les montagnes si majestueuses qu’on devrait s’arrêter presque tous les deux cent mètres. Mais ce n’est pas possible ou alors il vaut mieux voyager à pied.

Arrivés à Posada de Valdeon, je décide de bifurquer sur la petite route qui se termine à Cain de Valdeon. Cette route est si étroite que deux motos ont du mal à se croiser à certains endroits. Si tortueuse qu’il faut passer en première sur certains virages, et si pentue, en montée comme en descente, qu’il est interdit de s’arrêter sous peine de perdre l’équilibre.
Au bout de huit kilomètres au sein de ces gorges, le petit village de Cain de Valdeon nous accueille, avec ses restaurants, bars et divers commerces. Difficile d’imaginer qu’en ce lieu si perdu, si retiré de tout, au bout d’une impasse routière, il puisse y avoir une telle activité économique.
L’explication vient du fait que si ce village est un terminus pour nous, il ne l’est pas pour les cyclistes et randonneurs à pied qui peuvent continuer leur traversée des Picos sur quinze kilomètres jusqu’au funiculaire de Poncebos en longeant le rio Cares. Et apparemment, le site est très fréquenté.

Puisque les bistrots sont ouverts, nous en profitons un peu pour nous désaltérer et prendre le temps de choisir un camping pour ce soir vers Potes pendant que nos voisins de table attaquent leurs “chuletas” du repas de midi : il est quand même déjà presque dix-sept heures ! L’expression “manger à l’heure espagnole” prend tout son sens à ce moment là.

Il nous reste encore presque soixante dix kilomètres de routes de montagne avant d’arriver à notre destination du soir, aussi ne traînons nous pas à reprendre notre route.
Malheureusement, un mauvais timing nous fera suivre deux voitures dans les gorges de Valdeon à allure plus que réduite. Et c’est à ce moment là que le ciel se décide à nous dégringoler sur la tête. En montagne la météo change très vite. En voilà la démonstration.
Un orage de grêle comme j’en ai rarement vu s’abat sur nous. Nous sommes en tenue estivale, protégés mais toutes aérations ouvertes. En deux temps trois virages, nous sommes complètement trempés. Les voitures sont quasiment à l’arrêt mais contrairement à mon fils qui souhaite qu’on s’arrête pour s’équiper je décide de poursuivre au delà de l’orage de grêle.
Le sol commence à devenir tout blanc de grêlons et avec les dénivelés jusqu’à vingt pour cent si on patiente sur place, on risque de rester coincé un bon moment le temps que la route redevienne praticable pour les deux roues. Je connais cette situation pour l’avoir déjà expérimentée.
Je double donc comme je peux les voitures arrêtées sur le bas côté et continue à basse vitesse pour sortir des gorges et dépasser l’averse de grêle.

Dix kilomètres plus tard, nous faisons halte au soleil pour nous réchauffer et commencer à sécher. J’explique à mon grognon de fils pourquoi je n’ai pas stoppé et que nous allons avoir le temps de sécher sur les cinquante kilomètres qui nous restent à parcourir jusqu’au camping.

Une heure plus tard, après une petite arsouille dans la montagne sur la N-621 – uniquement pour ramener le sourire sur le visage de mon fils qui aime bien quand les repose-pieds font “crrrrrrr” sur le sol – , nous établissons notre campement au camping de Potes. Ça va être l’occasion de faire sécher la tente qui est mouillée dans son sac depuis le matin.

Si, comme le rapporte la Genèse, Dieu (ou Allah, Jeovah, Boudha, Casimir, Al Bundy, tu choisis celui qui te plaît) se reposa le septième jour, ce ne sera pas le cas pour nous. Ce matin, après un petit déjeuner et une discussion enrichissante avec un motard anglais en vacances dans le coin, nous levons le camp pour partir vers l’est.
La météo se fait menaçante dans la région, aussi allons nous la devancer et fuir avant la pluie. Quelques courses, de l’essence et nous voilà partis sur la CA-184 puis la CL-627, plein sud à travers la montagne.
La route est belle, pas de virages traîtres, le paysage est tellement beau qu’il faut se forcer à garder son attention sur la route. Les Picos de Europa s’éloignent dans notre dos mais au détour des lacets de la route nous les apercevons par moment bien en face de nous. Une pause photographique au mirador de Piedrasluengas nous permettra d’immortaliser une dernière fois ces montagnes.

Le plaisir continue encore un bon moment jusqu’à ce que nous sortions des montagnes à Cervera de Pisuerga où nous pique-niquons. Pas de sieste aujourd’hui car nous sommes en plein soleil, sans ombre. Autant rouler pour se rafraichir un peu.

L’objectif du jour est de se rapprocher du désert des Bardenas pour le visiter le lendemain. Donc ce sera de la liaison, sur de grandes routes sans trop d’intérêt au niveau de la conduite.
On profite des paysages de hauts plateaux car nous ne sommes peut-être plus en zone de montagne mais notre altitude moyenne est tout de même de mille mètres.
Par moment quelques lacets nous font descendre dans une vallée creusée par un cours d’eau il y a des années de cela puis nous remontons sur le plateau suivant. Nous passons au nord de Burgos et arrivons en vue de Miranda de Ebro. Décision est prise de passer la nuit sur le même spot de bivouac qu’à l’aller. Nous profitons de la ville pour faire quelques courses et une lessive. Dans ce genre de roadtrip, comme il est facile de trouver une laverie automatique, nous emportons un minimum de vêtements. Ça allège les bagages.
Nous retrouvons finalement notre spot pour la nuit. Mon fils se lance dans la cuisine de brousse et nous prépare d’excellentes pâtes à la carbonara.

Ce huitième jour va être une journée de roulage plus intense que le veille. Nous prévoyons la visite des Bardenas puis de partir vers San Sebastian. Courses pour le pique-nique, essence et nous voilà en route par la nationale vers Valtierra, aux portes du désert.

Nous traversons la Rioja et ses nombreux vignobles et cent cinquante kilomètres de nationale plus tard nous pique-niquons à Valtierra. Pourquoi ce village ? Parce qu’il se situe en hauteur en bordure du désert des Bardenas Reales sur lequel nous avons une jolie vue.

Une fois la traditionnelle sieste terminée, nous entrons dans le désert.
Bon ! Ce désert n’a de désert que le nom. Il est très touristique car effectivement c’est très beau et il y a pas mal de monde. Les pistes sont accessibles à n’importe quelles voitures et motos sans aucune difficulté. Ceux qui viennent là en espérant s’éclater en offroad repartiront déçus.
Par contre côté paysage, on est servis ! La traditionnelle photo au pied du Castil de Tierra est faite et nous entamons la balade classique du coin, à savoir le tour du polygone de tir – base militaire espagnole – par les pistes. La zone a servi aussi de lieu de tournage pour plusieurs films et séries. Il ne manque plus que de croiser Clint Eastwood au détour d’un canyon.

Le tour effectué, nous prenons le temps de faire un peu le point. Et surtout de regarder la météo. Malheureusement celle-ci se dégrade fortement au nord de notre position ainsi que sur toute la chaîne pyrénéenne douchant nos espoirs d’aller visiter San Sebastian.
Le plan B nous incite à continuer vers l’est en direction de Saragosse pour rester au sec. Quitte à avancer, je propose à mon fils que nous poussions jusqu’au camping que je connais dans les Monegros. Nous nous mettons donc en route, par la nationale à quatre voies, passons Saragosse et arrivons nuitamment à Valfarta.
Deux fourgons dans le camping, personne à l’accueil mais la salle commune est ouverte. On installe la tente puis nous investissons la salle commune pour manger car le vent s’est un peu levé.
Pendant le repas nous planifions notre retour à la maison. Malheureusement la météo pluvieuse sur les Pyrénées nous barre la route. Nous décidons de rester au camping le lendemain et d’aviser ensuite si on peut rentrer lundi. Ce dimanche sera notre première et unique journée off du roadtrip.

Dimanche, huit heures. Je me lève, réveillé par le vent qui a extraordinairement forci en fin de nuit. La tente est toujours debout mais le vent la secoue bien fort.
Il fait grand beau mais la poussière soulevée m’incite à me rapatrier dans la salle commune pour le petit déjeuner. Il y a maintenant trois fourgons et camping-cars dans le camping. Et nous. Et toujours pas de responsable.
En fait nous savons pourquoi. Hier soir en cherchant sur internet, nous avons appris que l’ancien gérant du camping était parti vers de nouvelles aventures et qu’en attendant d’en trouver un autre, la municipalité de Valfarta, propriétaire du camping, maintenait le camping ouvert, gratuitement – oui, oui, il n’y a pas d’erreur de frappe – afin qu’il ne tombe pas en désuétude et soit oublié. Je trouve l’attention remarquable et me demande si en France nos édiles procèderaient de la sorte.


Je profite donc de ces installations gratuitement, devant ma tasse de muesli, perdu dans mes pensées quand mon téléphone sonne. “Allo ! Papa ! Tu peux venir m’aider, je ne peux pas sortir de la tente, elle m’est tombée dessus !”.
Je file voir ce qu’il se passe et constate l’arrachage de deux sardines par le vent. Je redresse la tente et mon fils vient m’aider à tout replanter. Puis je sécurise le tout avec des sangles enroulées autour des deux arbres présents à coté. Maintenant, si la tente s’écroule de nouveau parce que les arbres sont arrachés, on aura d’autres soucis que de la replanter !
Après le petit déjeuner, nous partons à pied visiter l’ermitage de San Miguel situé au dessus du camping. On a une jolie vue vers le sud et Bujaraloz. Nous traînons ainsi une bonne partie de la journée. Les fourgons et camping-cars sont partis et nous sommes absolument seuls dans le camping.

Le vent ne mollit pas, bien au contraire. Je vérifie régulièrement la tente. Je ne crains plus les arrachages des sardines mais plutôt que la toile se déchire. Pour l’instant, ça tient.
Après une petite visite du village et une pause au bar, nous finissons la journée par un France-Australie sur l’ordinateur avant de partir au restaurant à Bujaraloz. J’avoue ne pas être très tranquille à l’idée de laisser la tente sans surveillance, non pas à cause des risques de vol mais à cause du vent. Ces préoccupations me quitteront quand sur la route du restaurant je devrai concentrer toutes mon attention et mon énergie à ne pas quitter la route, poussé par le vent de travers. Hallucinant !
De retour au camping, la tente n’a pas bronché et c’est l’esprit serein que je peux regarder le Stade Toulousain atomiser Montpellier – parce que non, mais , oh ! C’est qui le chef ?
Un rapide coup d’œil à la météo nous indique que nous pourrons passer les Pyrénées en restant au sec par le tunnel de Bielsa ce lundi en milieu d’après-midi. On y croit. En attendant, tâchons de passer une bonne nuit.

Lundi matin. Le vent n’a toujours pas faibli. Ça a soufflé très fort toute la nuit et ça continue. Je réussis à plier la tente en me mettant à l’abri de la salle commune. Les sacs sont couverts de poussière bien qu’étant rangés dans la tente. Après avoir fait le ménage dans la salle commune, nous décollons entre onze heures et midi et filons vers le nord pour rejoindre Barbastro.
Au bout de cinquante kilomètres, je suis obligé de m’arrêter car le vent latéral me demande tellement d’effort que je suis déjà épuisé. Finalement le vent tombera entre Barbastro et Ainsa où nous décidons de pique-niquer.
A la sortie du tunnel de Bielsa nous avons perdu plus de vingt degrés. Nos applications météo nous indique que finalement nous aurons droit à une petite pluie sur le chemin. Nous profitons de la pause essence à Ancizan pour laisser passer le plus gros de la pluie et quinze kilomètres plus tard le soleil fait de nouveau son apparition.
C’est la dernière ligne droite. Lannemezan, Boulogne-sur-Gesse et arrivée à la maison en fin de journée.

Nous sommes relativement fatigués mais heureux de ces dix jours d’itinérance à moto à visiter des endroits que mon fils ne connaissait absolument pas, satisfaits de nos bivouacs et des campings, enchantés par les paysages et les routes.
Pour un dernier roadtrip, c’est une réussite ! Vivement les suivants !

J’entends une question dans l’assemblée ? Alors j’avoue, je n’ai pas été très honnête en présentant ce récit comme étant le dernier roadtrip. Il l’est… sans l’être !
En réalité, c’est le dernier roadtrip avec mon fils en passager derrière moi. En deux mille vingt quatre, il devrait passer son permis A1 – petites cylindrées jusqu’à cent vingt cinq centimètres cubes – et nous pourrons ensuite partir ensemble, à deux motos !
Sa future moto est déjà dans le garage. Ça devrait le motiver ! Et moi, il me tarde !

En attendant, on se repose de ces trois mille cinq cent kilomètres en dix jours : canap’, ti’punch et thé glacé pour le jeune !

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